J'aurais dû faire du théâtre
On me l’a souvent dit. J’aurais dû faire du théâtre. Sauf que la vie est déjà une pièce de théâtre assez compliquée pour moi, donc pas besoin d’en rajouter. Je suis une bonne actrice, malgré tout. Quand on me croise, on pourrait presque me croire heureuse. Paraît-il que j’ai, je cite, "de l’énergie à revendre". Je cache juste mieux que les autres les pensées qui me viennent à l’esprit et qui sont à deux doigts de me détruire.
Je suis retournée boire une bière, à ma pause de ce midi. J’étais presque la seule cliente au bar, assise dans mon coin, avec mon grand cahier et mon stylo, grattant frénétiquement le papier et y inscrivant des tonnes de mots dont je doute moi-même du sens. Je n’ai pas mangé, je fais n’importe quoi avec la bouffe, de toute façon. Soit je mange trop, soit je ne mange pas du tout. L’an dernier, je n’arrêtais pas de faire des crises d’hyperphagie boulimique - ouais j’ai même cherché le nom exact de ce problème sur Google, lors d’une de mes nuits d’insomnie - et j’étais ultra mal d’avoir pris des kilos. Maintenant, quand je me regarde dans le miroir, je me trouve un air dur. Mon corps a repris du muscle et j’ai maigris, sûrement un peu trop. Et mon visage, mon visage… je ne saurais quoi en dire. Aurais-je dû faire du théâtre ? Je n’en suis pas sûre. Pas avec un visage comme le mien. Je suis trop expressive. Alors, j’ai trouvé une technique, c’est simplement qu’au lieu d’essayer d’avoir une expression neutre, je laisse transparaître une émotion différente de celle que je ressens.
On a discuté un peu, S et moi. Elle aussi est passée par pas mal de trucs difficiles, des moments qui ressemblent parfois à ceux que j’ai dû vivre aussi. Je l’ai écoutée, j’ai fait comme si tout ça c’était du passé pour moi, comme si désormais rien de tout cela ne pouvait plus m’atteindre. Rien de plus faux, bien entendu. Mais S n’a pas à le savoir. S ne le saura jamais. Elle n’est pas différente des autres.