Ce que j'écris quand je dérive...
"Musique résonnant aux oreilles, regard impossible à détacher de l’écran d’un ordinateur portable neuf, les mains sur le clavier, un corps en mouvement se débat dans la nuit. Un geste se fait, se créé ; la nuit l’enferme et le geste meurt. Si ce n’est qu’un corps, que fait-il ici ? Qui l’a laissé traîner là, dans cette pièce ? Qui donc l’a laissé pendant des heures en croyant qu’il ne bougerait jamais ? Battement de cœur ou bien battement du tambour, cela se ressemble tant qu’on dirait d’un tambour qu’il est le cœur de la musique hypnotisante et sans harmonie qui résonne entre ces murs.
Les murs, elle voudrait qu’ils lui parlent. Racontez-moi… demande-t-elle en murmurant. Racontez-moi… Et elle le répète en boucle, sans fermer les yeux. Elle n’a pas besoin de fermer les yeux ; les yeux ne peuvent pas voir le mouvement, ce mouvement de léthargie, cet instant éternel aux allures d’illusion.
Je m’appelle Sarah. Je m’appelle Sarah. Je m’appelle… Il faut qu’elle s’en souvienne. Pourquoi est-ce si dur de s’en souvenir ? Sarah. Le corps de Sarah. Les pensées de Sarah. L’âme de Sarah. Sarah.
Assise devant l’ordinateur, elle s’immobilise. Une pierre, une cousine des murs qui sont là, autour d’elle, c’est ce qu’elle aimerait être. Si elle était faite de roche, entendrait-elle les murs parler ? Ou alors peut-être que eux, ils pourraient l’écouter parler. Bonjour, je m’appelle Sarah et je vis ici depuis bientôt deux ans… Je m’appelle Sarah. Oui, je sais, je l’ai déjà dit. Sarah, c’est mon prénom et je ne l’aime pas, ce prénom.
"La main vient caresser la joue. Effleurement timide, aussi doux que la musique qui se fait maintenant limpide et qui coule dans les oreilles, tentant d’aller à contre-courant jusqu’au cœur, poison de l’abandon. Un roc, une pierre, un mur. L’eau. Une masse brune ; de l’argile peut-être. Oui, l’argile, serait parfait parce que je pourrais en faire un nouveau prénom. Je m’appelle Sarah, je m’appelle Sa… je m’appelle… je m’appelle… mais qui m’appelle ? Elle n’a pas besoin de s’appeler elle-même. Je m'... non, je suis un corps. Voilà, un corps, de la musique, des murs, un battement lourd, et un petit bout d’argile.
Glissement. Danse du mouvement immobile. Danse que l’on ne voit pas, que l’on ne peut pas voir. Que l’on ne peut pas avoir.
Il ne m’aura pas, je ne sais pas pourquoi, mais je sais qu’il ne m’aura pas. Deux corps, des murs plus grands et plus épais, un spectacle de statues. Je suis un corps, je suis un corps, et lui aussi, c’est un corps. Que peuvent faire deux corps ? Il ne peut pas m’avoir, il ne peut pas me voir ; sans doute parce qu’il ne le veut pas. Mais alors que veut-il, qu’est-ce qu’un corps peut bien vouloir ? Les statues dansent mais ne se brisent pas ; leurs regards sans yeux sont fixés l’un dans l’autre. Et soudain… Je vais t’appeler Maxence. Tu as déjà un prénom, vraiment ? Dis-moi qui t’appelle. Qui t’appelle "fiston". Qui t’appelle "mon pote". Qui t’appelle "pervers". Qui t’appelle "emmerdeur". Qui t’appelle "chéri". Je ne t’ai pas demandé pourquoi. Je t’ai demandé qui. Quoi moi ? Mais voyons, je ne m’appelle pas ! C’est inutile de s’appeler soi-même.
Un corps. Maxence. Mon corps ; de petites pierres tombent et je les écrase sous mes pieds, je sens leur solidité. Je lève le pied, le repose. J’écrase encore les pierres. Puis, doucement, je viens poser mon visage sur les pierres brisées. J’entends un murmure. J’entends un corps. Un seul. Pas de murs, pas de pierres, ni d’argile, juste un corps. Pas de prénom, pas de danse, juste un mouvement. En haut. En bas. Encore en haut, encore en bas. Le battement est toujours aussi lourd. Le mouvement est toujours aussi lent. Du bruit, un geste répétitif, mais aucun souffle. Pourtant, j’entends quelque chose. Racontez-moi, racontez-moi comment on oublie un prénom, comment on s’arrache les yeux, comment on se coupe les oreilles, comment on étouffe un souffle, comment on écrase un corps, comment on fait pour tuer un mouvement..."